
La RSE est-elle facteur de compétitivité ?
Jean-Pierre Chanteau et Emmanuel Picavet répondent à la question, posée par le bureau de la Plateforme nationale RSE : "La RSE est-elle un facteur de compétitivité ?"
Jean-Pierre Chanteau (maître de conférences HDR en économie à l’université Grenoble-Alpes, au nom du RIODD, Réseau international et Interdisciplinaire de recherche sur les Organisations et le Développement Durable) et Emmanuel Picavet (professeur de philosophie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et coresponsable de l’axe RSE de l’ISJPS, Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne) ont rédigé la note ci-dessous, validée par la Plateforme Nationale RSE dans laquelle ils siègent.
Cette note répond à la question « La RSE est-elle un facteur de compétitivité ? », question qui a été posée par le bureau de la Plateforme nationale RSE à toutes ses organisations membres et dont les réponses sont publiées dans sa Newsletter d’avril 2025.
Parole au… RIODD et ISJPS
La RSE est-elle facteur de compétitivité ?
Rappelons tout d'abord que la RSE n’a pas pour but une performance économique mais une meilleure soutenabilité sociale et écologique des activités d’une entreprise. L’analyse de son effet sur la compétitivité vise donc à permettre aux décideurs économiques d’identifier leurs marges de manœuvre car la RSE a un coût.
Pour savoir si la RSE est un facteur de compétitivité, il faut d’abord définir la compétitivité et éviter les généralités. Car "cela dépend"…
La notion de compétitivité, trop souvent confondue avec d’autres indicateurs de performance économique tels que profitabilité, productivité, etc., est la capacité à défendre voire gagner des parts de marché. Il faut donc prendre en compte les conditions de concurrence particulières à chaque marché sur lequel une entreprise positionne une activité.
Ensuite, pour comprendre les facteurs de la compétitivité, il faut éviter quelques confusions et surtout éviter toute généralité. La compétitivité d’une entreprise résulte de sa capacité à construire un avantage concurrentiel : or celui-ci dépend de la nature de l’activité, du positionnement commercial de l’entreprise, etc. Par exemple, le prix est le facteur essentiel de compétitivité sur des produits standards (matières premières non stratégiques, produits bas de gamme, etc.), et la compétitivité suppose alors de produire à bas coût ; pour d’autres produits, ce sont au contraire des qualités (performance technique du produit, fiabilité d’usage, délais de livraison, etc.) que l’acheteur (entreprise ou ménage) recherche en priorité — et même dans le luxe (automobile, habillement, cosmétique…), un prix trop bas devient un signal négatif.
Ainsi, toutes les activités ne sont pas exposées uniformément au risque de perte de compétitivité nationale ou internationale : la menace est d’autant plus faible : (i) que l’activité nécessite d’être localisée à proximité de la clientèle (service à la personne ou à l’entreprise, produit périssable, réactivité et délai de livraison « juste-à-temps », etc.), à proximité d’une ressource spécifique (matière première ou capital humain pour l’innovation) ou (ii) que la compétitivité se joue auprès de l’acheteur sur d’autres critères que le prix (qualité, fiabilité…). La menace est par ailleurs limitée pour les entreprises qui ont choisi d’internationaliser leurs chaînes de valeur (l’importation concerne alors des produits intermédiaires de leurs propres filiales sous-traitantes hors UE, non concurrents de leur produit final) ; etc.
Comment alors analyser les effets concurrentiels de la RSE, qui mobilise des moyens de l’entreprise pour des objectifs de durabilité ayant pour but premier d’améliorer ses impacts sociaux et écologiques ? Ces moyens constituent une forme d’investissement et, selon le cas, il peut être un facteur de compétitivité mais ne l’est pas toujours. Bien qu'il soit difficile, dans les études empiriques, d'isoler les engagements RSE comme un facteur indépendant, certaines des raisons de l'adoption par les entreprises de ces engagements montrent les rapports possibles avec la compétitivité. On peut penser en particulier aux avantages d'une communication mieux structurée, d'une sélection raisonnée (mieux cadrée) des sentiers de développement parmi tous les possibles, d'une identification améliorée des risques (écologiques, technologiques, sociaux) et des parties prenantes, d'une meilleure soutenabilité, et donc acceptabilité, des développements technologiques et des implantations sur les territoires, de relations apaisées avec les pouvoirs publics et les parties prenantes et aussi d'une limitation des risques de contentieux. La RSE sera donc un facteur de compétitivité si elle contribue significativement à l’un de ces avantages et si sa communication sur cette contribution est valorisée par ses salariés, ses financeurs ou ses clients.
La RSE sera d’autant plus un facteur de compétitivité que l’entreprise choisit de se différencier plutôt que s’aligner sur une qualité standard de produits qui expose à la compétitivité-prix, ou s’aligner sur une organisation managériale standard : un effet interne positif avéré est en effet une plus forte motivation du personnel (attractivité pour recrutements et fidélisation améliorant la productivité) [France Stratégie, RSE et compétitivité, 2016]. Sur la position concurrentielle des produits d’une entreprise, l’effet positif est conditionnel. En effet, la RSE engendre d’abord des coûts (organisation, innovation technique, etc.) et tout dépend donc de la capacité de l’entreprise à valoriser ces investissements ; mais le client (ménage ou industriel) ne peut voir dans le produit qu’il achète la réalité d’une RSE de l’offreur, puisqu’elle n’apporte pas d’utilité particulière à l’usage de ce produit. D’où un minimum de conditions pour que la RSE soit un facteur positif de compétitivité sur un marché : nécessité de pouvoir attester des engagements RSE et de leurs effets (évaluation crédible) ; d’en informer les clients et investisseurs (reporting de durabilité crédible) ; et que ceux-ci valorisent cette information. La Plateforme RSE avait synthétisé ces conditions dans son Avis « Labels RSE » (2021, p.24) :

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Source : Chanteau J-P, « RSE et compétitivité : une relation sous conditions », in Chanteau J-P, Martin-Chenut K. & Capron M. (dir.) Entreprise et responsabilité sociale en questions, Paris : Garnier, 2017, cité in Plateforme nationale RSE, Avis « Labels RSE », 2021.
On peut ainsi estimer que toutes les grandes entreprises ont les moyens d’un engagement RSE et d’en tirer un avantage managérial, voire un avantage compétitif. En revanche, pour les plus petites, c’est très variable : il est plus facile pour un petit commerçant ou artisan de parvenir à valoriser ses engagements RSE auprès de ses clients, au contraire d’un sous-traitant industriel anonyme fournisseur de produits standardisés ; etc.
Ceci rappelle aussi qu’un ingrédient indispensable de la compétitivité en économie de marchés est l’action publique car elle permet l’initiative privée et pallie certaines inefficacités de l’action individuelle : la confiance dans le marché, la production de biens communs (infrastructures de transports et de communications, services de formation et de santé, lutte contre les externalités négatives que chacun subit mais que personne ne peut régler à son niveau, etc.) reposent sur une action publique, par voie réglementaire ou budgétaire. En l’occurrence, elle est aussi nécessaire pour la crédibilisation et la valorisation des engagements RSE. D’ailleurs tous les Avis de la Plateforme nationale RSE adressent des demandes aux pouvoirs publics.
Rappelons aussi que la notion de compétitivité s’applique aux entreprises, et non aux territoires (locaux, nationaux ou continentaux) : en effet, ce ne sont pas les territoires qui vendent ou achètent, mais les acteurs économiques ; et un territoire est certes affecté par la performance économique des acteurs qui y résident mais l’enjeu premier de l’organisation territoriale est le vivre bien ensemble (enjeu à la fois domestique et politique), et non de soutenir une concurrence marchande avec d’autres territoires.
In fine, la question des effets de la RSE sur la compétitivité s’analyse donc dans la cohérence entre sa gouvernance, sa maîtrise des effets écologiques et sociaux de ses activités, et sa stratégie industrielle et commerciale.