IRN Les normes de la vie (NOVI)

Projet

Présentation

L’objectif de NOVI est d’investiguer les normes immanentes à la vie, vie étant ici comprise comme intrication du vivant et du vécu. Comment les normes tenant à cette intrication émergent-elles, de quelle manière (et jusqu’à quel point) sont-elles habitées par les individus, y compris lorsqu’elles sont pathologiques, comment s’incarnent-elles dans des institutions qui varient selon les cultures, et de quelle manière évoluent-elles? Comment ces normes conforment-elles cette intrication tout en étant le produit ? 

La vie est une double activité normative qui, d’une part, se confronte de façon réactive aux menaces et aux valeurs négatives du milieu interne et externe, et qui, d’autre part, produit activement son propre milieu, ses propres normes vitales et ses formes de vie. Ce n’est qu’en déviant de la norme que la vie peut être normative, c’est-à-dire vraiment vitale. La normativité fait "craquer" les normes et en institue de nouvelles. C’est cette double dimension que nous souhaitons explorer, de manière à dépasser les énoncés vitalistes comme les théories fonctionnalistes. Dès lors, pour nous, le "normal", concept que nous investiguerons parallèlement à celui de normes, n’est pas un concept "statique ou pacifique", mais un concept "dynamique et polémique" (Canguilhem, 1968), et même "politique" (Foucault, 1975).

Cette enquête est menée en repartant des avancées théoriques permises par les travaux menés depuis le début de ce siècle sur les formes de vie, par des chercheur.e.s de ce réseau et par d’autres. 
Les chercheurs s’efforceront d’appréhender les normes de la vie à la lueur de phénomènes récents qui en montrent la vulnérabilité comme la plasticité, telles que la pandémie, les catastrophes, la guerre et les violences collectives, de nouvelles formes de mobilisations politiques. L’étude croisée de ces phénomènes devrait permettre de déterminer : (1) la normativité propre des formes de vie, (2) ce qui fait une "vie normale", telle qu’elle s’observe dans les aspirations qu’elle suscite après un désastre ou une crise, (3) les manières dont il est possible de transformer les normes en vivant, tout simplement.

NOVI envisage la vie, sous sa double dimension biologique et sociale, comme un phénomène en devenir, façonné par une pluralité d’agents humains et non-humains. Loin de faire rupture avec l’ordre naturel, les pratiques culturelles viennent au contraire s’y enchâsser et les myriades de formes de vie que les humains inventent ne font que prolonger un mouvement global de production de la multiplicité. Cette génération et cette perpétuation des formes de vie humaine dans leur diversité suppose d’innombrables configurations agentives que les humains inventent dans leurs existences quotidiennes. En d’autres termes, la vie normale, loin de signifier conformisme et unicité, est un lieu de production de la pluralité, des formes comme des normes. 
Les expériences de la pandémie de Covid-19, comme celles de la guerre et de la catastrophe, semblent indiquer que la vie normale ne se découvre que dans ses brèches et ses suspensions, ou en tout cas ne paraît provoquer d’adhésion consciente que dans ces moments-là. Mais de quoi est faite cette adhésion, dans la mesure où reposant rarement sur une argumentation, elle prend la forme d’une impatience ? Ces chocs majeurs (guerres, violences collectives, pandémies, désastres écologiques), qui aboutissent à la perte des formes et des normes de vie humaine affectent le vivant autant que le vécu ; éléments de rupture du cours "ordinaire de la vie", ils sont aussi des moments de vulnérabilisation de la vie biologique. Les perspectives de l'écocritique et de l'environnementalisme, du postcolonialisme, des philosophies non occidentales et indigènes, par exemple avec les idées d’"afrodystopie" (Tonda) et de "brutalisme globalisé" (Mbembe) serviront à appréhender la plasticité des normes lorsqu’elle se fait brutale. 
Observer la norme par le prisme du normal permet de mettre en évidence la texture très corporelle de l’expérience de la vie normale. L’aspiration au retour à la vie normale est dans une large mesure une aspiration à travailler, manger, dormir, aimer, bouger comme avant. Mais elle n’est pas que cela. La pandémie et les politiques de gestion des risques qu’elle a occasionnées ont placé en contact direct l’individu avec l’espèce (humaine), faisant fi de ses liens concrets comme de son insertion dans une communauté politique. Ce ravalement dans l’espèce semble être l’origine d’une aspiration à un normal où le vivant est fortement harnaché de normes touchant à l’intersubjectivité de la vie. C’est ce qu’indiquent également les revendications de "réparation" après des violences collectives. Celles-ci traduisent-elles d’abord une aspiration à rendre la vie quotidienne à nouveau "habitable" (Das) ou bien sont-elles aussi le retour d’une transformation des normes qui prévalaient jusque là ? En se basant sur une sélection d'écrivains ayant vécu des expériences de conflit et de violence politique, NOVI montrera comment leurs textes littéraires participent activement à la problématisation de "l'expérience de la vie" et du "normal" dans des espaces où la vie ordinaire, marquée par une succession de crises politiques et sociales, est intimement liée à l'expérience de la mort, comme le soutient Achille Mbembe (2006, 2010). Dans quelle mesure, puisque les formes de vie sont aussi des formes de mort (Das, 2016) la reconnaissance de cet état de fait rend-elle possible des types de vies ou des normes éthiques irréductibles à ce que nous offrent les théories qui considèrent le répertoire conceptuel existant comme suffisant pour définir la moralité ?
Le retour à la vie normale n’en est jamais vraiment un (Gaille, 2018). D’une part loin de relever d’une logique homéostasique, d’un retour mécanique à l’équilibre, il exige un travail de réparation de l’ordinaire (Das 2006, 2020). D’autre part il n’est pas possible de faire comme si le cours des événements pouvait simplement être repris là où le désastre l’avait interrompu. Qu’est-ce que ce retour implique d’oubli de ce qui a été appris pendant la crise, par exemple ? Et quelle est la normativité propre de l’ordinaire ? Pourquoi l'ordinaire deviendrait-il la norme ? Suffit-il de dire, comme Foucault, que le normal existe d'abord, et que la norme se déduit de l'étude de la normalité ? Cela n'aurait aucun sens de se placer hors de l'ordinaire, ou de s'y placer, et ce faisant, de prétendre "faire" quelque chose. Cependant, il semble également important qu'il soit possible de perdre l'ordinaire dans l'ordinaire. En effet, pourquoi le fait qu'une façon de faire soit ordinaire justifierait-il d'en faire une norme ? Nous rencontrons ici le risque de toute pensée de l'ordinaire : celui du n'importe quoi. Une critique immanente de l'ordinaire est nécessaire à toute approche de sa normativité.
Par ailleurs, au fil du temps, certaines pratiques nées dans les périodes de crise d’une forme de vie acquièrent les traits de la vie "normale", au sens d’habituel et de quotidien. Ainsi, si les séries ont accompagné nos vies ordinaires pendant la pandémie, elles les ont aussi durablement transformées, la fréquentation de salles de cinéma semblant de plus en plus reléguée à une vie lointaine (Laugier, 2021, 2023). Les normes se réarrangent de manière à constituer de nouvelles formes de vie, même si elles sont perçues comme dégradées. Comment une norme émerge-t-elle dans le provisoire, ou ce qui est perçu tel, et dans quelle mesure survit-elle à la fin de la crise ? Dans quelle mesure la description par Georges Canguilhem, de la maladie comme "une autre allure de la vie" permet-elle de penser les temporalités qui se heurtent, se chevauchent et se contractent dans les moments de crise de la vie "normale" ?

Historique

Plusieurs partenaires ont été les acteurs d’un précédent réseau IRN, FOL (Forms of Life), qui a bénéficié d’un financement CNRS de 2015 à 2020. Composée de 9 équipes, dont l'ISJPS Paris I, John Hopkins University, CUNY, l’UPJV et Doshisha University, FOL est parvenu à structurer au niveau international la recherche sur la notion émergente de forme de vie, au moyen de discussions entre des courants théoriques différents (Théorie Critique, spécialistes de Wittgenstein et Cavell, lecteurs de Foucault et Agamben, représentants de l’anthropologie de la vie). 
Après avoir dégagé, de manière pluridisciplinaire, une compréhension cohérente de la notion, il a mené une réflexion collective sur la forme de vie capitaliste et sur la démocratie comme forme de vie. 
Aux 5 équipes ayant participé à FOL, s’ajoutent la Maison Française d’Oxford, et University of Cape Town.

Équipe

Coordinatrice

Estelle Ferrarese, CURAPP-ESS, UMR 7319

Pays partenaires

  • France
  • Japon
  • États-Unis
  • Afrique du Sud
  • Grande-Bretagne

Consortium

  • ISJPS (UMR 8103), Sandra Laugier
  • University    of    Cape    Town, School    of    Language    and literature, Markus Arnold
  • John Hopkins University, Dept of Anthropology and Dept of Comparative Thought, Clara Han    
  • CUNY, The Graduate Center, Alyson Cole
  • Maison Française d’Oxford, Perig Pitrou
  • Doshisha University, Graduate School of Global Studies, Anne Gonon