
Le recours à la justice transitionnelle dans les démocraties consolidées : vers de nouvelles perspectives ?
Justice transitionnelle en Argentine
Quarante ans après la reconnaissance des violations commises sous la junte militaire
Professeur Lucas Martín, Université Mar Del Plata, Argentine
Le 40ᵉ anniversaire du procès des juntes constitue une occasion de dresser un bilan et de s'interroger sur son héritage, tant en Argentine que dans le cadre de la théorie de la justice transitionnelle. Dans cette perspective, nous nous proposons d'examiner les difficultés rencontrées par le gouvernement Alfonsín dans la conduite de ce procès emblématique, à la lumière des objectifs définissant la justice transitionnelle : comment établir une vérité partagée sur les crimes ? Comment rendre justice ? Comment assurer la réparation ? Comment garantir la stabilité démocratique et le respect des droits de l'homme ? Comment prévenir la récurrence des violations ? Comment parvenir à la réconciliation ?
Notre hypothèse est que, comme dans d'autres contextes – y compris en Argentine durant la période post-transitionnelle –, les politiques de justice transitionnelle visant à répondre à ces grands objectifs sont soumises à des décisions constituant des dilemmes, c'est-à-dire conduisant à des choix impliquant de renoncer partiellement à un objectif au profit d'un autre. De plus, ces décisions sont elles-mêmes influencées par les réactions des différents acteurs, susceptibles d’en modifier le cours et la portée. Ainsi, par exemple, si le projet initial d'Alfonsín, à travers la CONADEP et les procès, visait à établir une vérité sans limites et une justice restreinte, l'héritage de ces premières expériences de justice transitionnelle – avant même que la notion ne soit théorisée – s'est cristallisé dans une approche fondée sur une justice punitive, au détriment d'autres objectifs tels que la vérité ou la réconciliation.
Professeur de sciences politiques à l'Université de Mar del Plata (UNMdP) et chercheur au Conseil National de Recherche Scientifique et Technique (CONICET) à l'Université nationale du Sud en Argentine, Lucas Martín a obtenu sa Licence à l’Université de Buenos Aires et son DEA et son doctorat à l'Université de Paris 7 Denis Diderot. Il a été directeur du département de Science Politique et coordinateur du Centre-Franco-Argentin à l'Université de Mar del Plata. Il est actuellement professeur invité à l'IHEAL à l'Université de Paris 3 Sorbonne-Nouvelle.
Ses thèmes de recherche croisent la théorie politique et l'analyse comparée de processus de justice transitionnelle. Il travaille actuellement sur la justice transitionnelle, sujet sur lequel il a publié en collaboration les recueils Crímenes indelebles (Suárez, 2012), Un pasado criminal (Katz, 2017), El pasado eso hoy (Eudem, 2017) et Lesa humanidad (Ed. Katz, 2014). Il a également co-édité le livre Vocabulario Arendt (Hommo Sapiens, 2016).
Lucas Martín fait partie du groupe “Mesa de Discusión sobre Derechos Humanos, Democracia y Sociedad” (www.lamesa.com.ar).
Juger le “mal absolu” : contribution critique à la théorie de la justice transitionnelle de Carlos S. Nino
Lucas Morinière
L’année 2025 marque, en Argentine, le quarantième anniversaire des procès de la junte militaire au pouvoir durant la dictature des années de plomb (1976-1983). Témoin et acteur privilégié de ce moment décisif de la transition démocratique, le juriste Carlos S. Nino consigne son expérience à la manière d’Hannah Arendt lors du procès d’A. Eichmann à Jérusalem, et s’interroge : jusqu’où doit aller la justice rétroactive en cas de violations massives des droits humains ? La réponse à cette question l’invite à mettre en lumière deux défis structurels de cette forme particulière de justice qui, bien qu’exceptionnelle, n’en demeure pas moins tenue au respect des grands principes d’indépendance et d’égalité devant la loi.
Dès lors, cette contribution à une critique renouvelée de ce procès au mal absolu sera l’occasion de revenir sur la portée théorique de l’ouvrage éponyme de Carlos Nino avant d’examiner l’évolution de ses considérations sous un prisme plus contemporain.
Lucas Morinière est enseignant-chercheur contractuel à l’Université du Havre. Dans le prolongement de sa thèse sur le langage de la Constitution, il mène des travaux sur le pragmatisme juridique et sur l’étude des mutations constitutionnelles contemporaines. Sa réflexion sur la justice transitionnelle s’inscrit en particulier dans le cadre d’une étude qu’il consacrait, en juillet 2018, à la figure du philosophe et juriste argentin Carlos S. Nino.
Séminaire de justice transitionnelle organisé par Xavier Philippe, ISJPS, centre Sorbonne constitutions & libertés (université Paris I Panthéon-Sorbonne et CNRS)
Informations pratiques
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, centre Lourcine
1 rue de la Glacière, 75013 Paris
Bâtiment 1 Suzanne Bastid, 3e étage, espace Gisèle Halimi
Inscription gratuite mais obligatoire : à l'issue de l'inscription, un message de confirmation vous sera envoyé avec un billet PDF en pièce jointe. Ce billet, accompagné d'un document d'identité, est indispensable aux personnes extérieures à l'université Paris Panthéon-Sorbonne pour accéder à l'événement.
Séances précédentes et enregistrements
Explorer les liens entre justice transitionnelle, historique et sociale
La justice transitionnelle et les initiatives locales de réparation des injustices coloniales en Europe
4 mars 2025
La justice transitionnelle a été et reste largement perçue comme une justice de transition dans les périodes post-conflictuelles et post-crises. Ce séminaire se propose de discuter de la pertinence de la justice transitionnelle dans les démocraties consolidées (en examinant notamment comment elle est utilisée pour remédier aux injustices historiques, mais aussi à d'autres injustices commises à grande échelle sans pour autant qu’un conflit existe ouvert.
Ce séminaire accueillera Tine Destrooper, professeure à l’Université de Gand (Belgique) qui présentera son projet sur la manière dont les mécanismes de justice transitionnelle peuvent contribuer à d’autres types de lutte pour la justice que ceux pour lesquels ils ont initialement été développés. Sa présentation se focalisera sur l’expansion du paradigme de la justice transitionnelle au-delà de son cadre d’origine pour examiner comment elle affecte la forme, le contenu et les objectifs normatifs qui lui sont liés et comment il peut être rendu plus pertinent dans les luttes dans lesquelles elle est employée aujourd’hui.
Cette présentation sera suivie par une intervention d’Elke Evrard, chercheure post-doctorante à l’Université de Gand, qui partagera ses remarques sur le nouveau projet mené par Tine Destrooper sur la justice transitionnelle et les initiatives populaires pour la réparation coloniale en Belgique.
La rencontre sera modérée par Xavier Philippe qui partagera ses réflexions sur l'utilisation du discours de la justice transitionnelle en France et sur les raisons, les effets, etc. de cette utilisation.
Intervenants :
- Tine DESTROOPER, professeure à l’Université de Gand (Belgique), en résidence auprès de l’Institut d’Études Avancées de Paris
- Elke EVRARD, chercheure post-doctorante à l’Université de Gand
- Modérateur : Xavier PHILIPPE, professeur à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, directeur de l’ISJPS
Visionner l'enregistrement du séminaire de Tine DESTROOPER
Code secret : *n$LQ3eN