Les concepts fondateurs de la philosophie du langage (ISTE éditions)
La série Les concepts fondateurs de la philosophie du langage, créée par Béatrice Godart-Wendling, poursuit un double objectif : il s’agit tout d’abord de retracer l’émergence et l’histoire des concepts fondateurs de la philosophie du langage et d’examiner quel est leur pouvoir explicatif actuel et les problématiques qui leur sont afférentes. Chaque volume se compose donc de deux parties : l’histoire depuis l’antiquité grecque jusqu’à nos jours de la constitution du concept ; puis l’analyse, en fonction de ses différents champs d’application, de la fonction assumée par le concept dans les théories contemporaines.
L’accent mis sur les concepts s’explique par le fait qu’en cristallisant les problématiques qu’ils rendent accessibles, leur examen offre la possibilité de rendre manifestes les hypothèses sous-jacentes et les types de raisonnement autorisés par la théorie qui les met en œuvre. Autrement dit, les concepts – parce qu’ils contraignent les propositions qui peuvent être construites par la théorie – donnent accès au "programme de recherche effectif, et non pas déclaré, de la théorie" (Jean-Claude Milner, Introduction à une science du langage, 1989). Leur analyse offre donc une voie d’accès privilégiée pour évaluer le pouvoir explicatif et les limitations du cadre théorique qui les emploie.
Le premier objectif, qui porte sur la restitution de l’histoire des concepts, vise à traquer les anachronismes ou à déjouer ce que Michael Ayers a appelé le "programme d’aplatissement du passé dans le présent"* car, curieusement, ces concepts peuvent tirer leur assise en philosophie d’un jeu subtil qui assoie leur caractère novateur grâce à des argumentations recourant à des anachronismes**. L’intérêt de la démarche diachronique adoptée dans chaque volume est également de permettre aux doctorants et aux chercheurs d’avoir accès aux différentes strates d’élaboration du concept qu’ils souhaitent utiliser, ainsi qu’aux problématiques qu’il a engendrées, afin qu’ils soient à même d’y puiser un mode de raisonnement oublié ou de s’assurer de l’originalité de leurs propositions tout en étant conscients des écueils pour lesquels des solutions argumentées ont déjà été apportées. La visée poursuivie est également de rendre patents les facteurs permettant l’émergence d’un concept, ainsi que les périodes de "bricolage" qu’il subit nécessairement. Certains volumes de la série ont ainsi permis de montrer que : i) l’idée que cristallise le concept peut être là sans qu’aucun terme permettant de donner un nom à ce concept n’y soit associé ; ii) au contraire, le nom existe mais la théorisation qui s’y rapporte est absente ; iii) ou encore le contenu définitionnel de ce qui finira par devenir un concept est instable, car il ne cesse de varier (période de bricolage) et l’intérêt d’en user est mis en concurrence avec la création d’autres concepts.
En outre, l’élaboration des concepts s’inscrit non seulement dans le temps, mais aussi dans la transdisciplinarité. Le processus d’élaboration des concepts s’effectue en fait très souvent par emprunt à d’autres disciplines et hérite, par ce biais même, de certaines réflexions théoriques menées dans des cadres très divers : la logique, le droit, la théologie, l’anthropologie, la psychologie… En retraçant ainsi le parcours migratoire des concepts dans différentes disciplines, les volumes rendent justice au fait que : "l’histoire d'un concept n'est pas, en tout et pour tout, celle de son affinement progressif, de sa rationalité continûment croissante, de son gradient d’abstraction, mais celle de ses divers champs de constitution et de validité, celle de ses règles successives d’usage, des milieux théoriques multiples où s’est poursuivie et achevée son élaboration." (Michel Foucault, L’archéologie du savoir, 1969, p. 11).
Le second objectif portant sur l’usage actuel du concept dans différentes disciplines permet d’évaluer la vitalité de celui-ci en examinant sa portée explicative et son contenu définitionnel dans les domaines où il est convoqué. Chaque chapitre est par conséquent rédigé par un spécialiste différent. La série accueille également des contributions présentant des traditions autres, telles que la théorisation de tel ou tel concept dans la tradition arabe.
Ainsi, si les premiers chapitres réunissent les contributions d’historiens de la philosophie et de toute autre discipline ayant eu une incidence sur la constitution du concept (logique, linguistique…), les chapitres qui leur succèdent peuvent être rédigés par des philosophes, des linguistes, des sociologues, des ethnologues, des juristes, des psycholinguistes, des informaticiens… travaillant dans le cadre des théories contemporaines.
En alliant histoire et actualité du concept, l’épistémologie pratiquée dans les volumes n’est donc pas orientée vers le passé en vue de restituer une "archéologie" témoignant d’un temps révolu, mais vers la mise en évidence de la dynamique induite par la circulation des concepts. Dans cette perspective, faire l’archéologie des emprunts conceptuels revient à expliciter comment la circulation des outils philosophiques, linguistiques, logiques, mathématiques, sociologiques… permet de construire quelque chose de neuf, modélisant ainsi – par le biais de l’histoire des concepts – l’évolution scientifique.
* Ayers M., "Analytical Philosophy and the History of Philosophy", in Philosophy and its Past, eds. Rée J., Ayers M. & Westoby A., Hassocks : Harvester, 1978, p. 42-66
** Cf. Glock, H.-J., What is Analytic Philosophy? Cambridge University Press, 2008, p. 201-211
Et Annas, J., "Ancient Philosophy for the Twenty-First Century" in The Future for Philosophy, ed. Leiter B., Oxford University Press, 2004, p. 25-43
De l'action du discours : les coulisses
En 2015, Béatrice Godart-Wendling, alors chercheuse rattachée au laboratoire HTL (UMR 7597), avec lequel je collaborais de manière épisodique, me proposa de donner forme à une partie de mes recherches en me confiant la direction d’un volume de sa collection, consacré à ce qu’on appelle les actes de parole (speech acts).
L’idée présidant à la collection étant de retracer l’histoire et l’émergence d’un concept en réunissant les compétences variées de philosophes et de linguistes, elle satisfaisait de manière décisive ma volonté d’inscrire mon approche épistémologique de l’efficacité du discours dans une comparaison historique et ethnographique, permettant de saisir à la fois la diversité théorique des élaborations du concept au cours de son histoire, et la variété historique et culturelle de ses exemplifications concrètes, de manière à échapper à une forme d’ethnocentrisme encore prégnant en pragmatique.
Mener à bien ce volume nécessita un long travail – il fallut 3 ans pour le voir paraître achevé – qui occasionna des rencontres intellectuelles nouvelles tout en permettant d’affermir des collaborations plus anciennes. Surtout, il permit d’offrir la première approche réflexive du concept dans le monde francophone, en sollicitant des compétences pluridisciplinaires qui font toute la force et la richesse de la collection.
Bruno Ambroise, directeur de l'ouvrage
Chargé de recherche au CNRS
