Alexandrine Guyard-Nedelec en délégation CNRS
Alexandrine Guyard-Nedelec, maîtresse de conférences en langues et littératures anglaises et anglo-saxonnes, est sélectionnée par le CNRS pour poursuivre ses travaux de recherche en délégation à l'ISJPS à partir de septembre 2022. Explications de l'enseignante-chercheuse.
Mes travaux de recherche, qui s’inscrivent en sociologie du droit et civilisation britannique, m’ont amenée à travailler sur le droit à l’avortement, notamment avec Laurence Brunet, chercheuse associée à l’ISJPS. À cette occasion, j’ai pris conscience de la domination effectuée par le droit à l’avortement sur le paradigme plus vaste des droits reproductifs et des problèmes engendrés par la focalisation des travaux de recherche sur ce droit, qui fait l’objet d’un fort clivage politique et de luttes sociales incessantes sur la scène internationale. En effet, cette focalisation tend non seulement à masquer l’importance d’autres droits reproductifs, tel le droit à la contraception, mais elle occulte également la multiplicité des violations des droits reproductifs que subissent de nombreuses femmes, en particulier dans des contextes intersectionnels, quand l’identité plurielle des femmes se fait le lieu de la convergence des systèmes d’oppression (classe, race, etc.)
Mon projet de délégation, intitulé « De la justice à la gouvernance reproductive ? Enquête sur l’émergence d’un nouveau paradigme » (JustGoRe) a pour objet d’éclairer les controverses qui entourent les droits reproductifs, cadre qui structure la réflexion autour de la reproduction du côté du droit. Ces derniers sont parfois présentés comme une nouvelle norme internationale, mais il demeure qu’ils font l’objet d’une importante contestation, sur le plan politique notamment.
L’absence de consensus intra-disciplinaire et la diversité des approches selon les disciplines rendent compte de la complexité des questions reproductives. L’un des aspects saillants de la reproduction, qui en fait bien plus qu’un fait social, consiste en sa dimension incarnée, intime et existentielle. En conséquence, le rapport aux droits reproductifs sera singulièrement différent de celui qui pourra être noué avec d’autres droits collectifs, y compris dans le domaine des droits des femmes (on pense par exemple au droit de vote).
Par-delà le cadre des droits reproductifs, l’articulation de deux nouveaux cadres d’analyse, justice reproductive d’une part, gouvernance reproductive de l’autre, me semble à même de produire des jeux d’échelle permettant de faire dialoguer les problématiques individuelles, incarnées, et les problématiques structurelles – autrement dit des niveaux d’analyse micro et macro. Pour tenter de mesurer la pertinence de la mise au travail de ces emprunts conceptuels, il me semble indispensable de procéder à un travail de généalogie et à une mise en tension de la justice et de la gouvernance reproductives. Cette mise en conversation conceptuelle et culturelle pourrait être à même de faire émerger un paradigme fécond pour renouveler la compréhension de ces enjeux encore trop souvent dominés par la seule question du droit à l’avortement dans une perspective réductrice.
Alexandrine Guyard-Nedelec est également coresponsable de l'axe genre et normativités de l'ISJPS. Elle a dirigé, avec Laurence Brunet, l'ouvrage "Mon corps, mes droits !" L'avortement menacé ? Panorama socio-juridique : France, Europe, États-Unis.